Fatou Keïta, dans son roman captivant, Rebelle, invite ses lecteurs à la joindre dans un aventure qui ouvre les yeux aux problèmes sociaux contemporains en Afrique et à l'Occident. Ivoirienne, Keïta est Docteur en Études anglo-saxonnes et elle travaille actuellement en tant que Maître-Assistant à l'Université de Cocody à Abidjan où elle enseigne la littérature anglaise. Bien qu'elle se spécialise en livres pour la jeunesse tels que Le petit garçon bleu (NEI 1996) et La Voleuse de Sourires (NEI 1997), Fatou Keïta a aussi écrit deux romans. Rebelle, publié en 1998, est son premier roman et Et l'aube se leva, publié en 2006, en est son deuxième. Un grand succès, Rebelle nous permet d'identifier avec des personnages très différents afin de formuler une nouvelle perspective du monde à travers leurs expériences émouvantes.
À travers ses livres, Fatou Keïta expose des problèmes de la société en racontant « ce que tout le monde préfère taire » (Erik Orsenna). Ses romans font partie de la période de la Parole des Femmes dans l'évolution du roman négro-africain de langue française, se situant dans la lignée d‘œuvres d'autres femmes influentes telles Mariama Ba (Sénégal, Une si longue lettre [1979]) et Aminata Sow Fall (Sénégal, L'Appel des arènes [1982] et Douceurs du bercail [1998]). Toutes ces femmes ainsi que d'autres, en s’appropriant la parole, ont joué un rôle très important en Afrique noire en traitant de problèmes sociaux contemporains tels que la violence domestique, les mutilations, la polygamie, le racisme, le viol, l'exploitation, etc. dont personne n'avait osé parler avant. Des livres de cette période forment une héritage riche dont Rebelle de Fatou Keïta fait partie, chacun servant à sensibiliser des gens aux problèmes et à suggérer des solutions à ces problèmes.
L'auteur révèle le thème principal de son premier roman en disant, « Rebelle est ma contribution au combat des femmes contre ce que je considère être une violation flagrante des droits de la personne : l'excision » (Fatou Keïta). Elle conçoit donc son œuvre dans le cadre des droits de l’homme, ou plutôt de la femme. C’est ainsi que, en plus de l'excision comme thème, Fatou Keïta réussit à faire une comparaison entre la tradition et l'occident afin de montrer la difficulté de mélanger les deux pour y trouver un bon équilibre. Elle raconte l'histoire d'une jeune fille africaine, Malimouna, qui refuse d'être excisée et qui réussit à le cacher jusqu'à son mariage forcé à l’âge de 14 ans avec un vieillard. Malimouna se voit obligée de fuir son village natal après que son nouveau mari, Sando, découvre qu'elle n'a pas subi cette épreuve et la bat brutalement. Elle sait bien que si elle retournait jamais au village, il y aurait de pires conséquences. Au cours des années, elle doit passer par de nombreuses difficultés dans sa recherche d’équilibre entre la tradition et l'occident.
On pourrait diviser l'histoire en trois grandes parties selon l'endroit où elle a lieu: la vie de Malimouna avant de quitter l'Afrique, sa vie en France et son retour en Afrique. La première partie comprend le temps qu'elle passe dans son petit village en tant qu'enfant, sa fuite de son village et les quelques années passées à travailler en tant que nounou dans une famille d'expatriés français. Ayant grandi dans « …un beau petit village, fier de ses valeurs et de ses traditions (où) les règles y étaient établies, et personne ne les (remettait) en cause » (p. 5), Malimouna connaissait très peu du monde occidental. Cependant, même avant qu’elle quitte le village, on trouve le premier exemple de ses efforts de trouver l’équilibre entre ces deux mondes par le biais de son amitié avec Sanita.
Sanita est Africaine, mais sa famille habite en France, et elle ne passe que quelques semaines en Afrique tous les étés. Malimouna et Sanita deviennent de meilleures amies, ce qui rend heureux les parents de Sanita parce qu’elle « …apprendrait sa langue maternelle et ne serait pas complètement déracinée… » (p. 16). La mère de Malimouna est aussi contente parce qu’au même temps que Sanita apprend sa langue maternelle, Malimouna apprend le français. Les deux filles semblent avoir trouvé un équilibre, mais dès que d’autres membres de la communauté commencent à mettre de la pression sur les parents de Sanita d’exciser leur fille, la famille part et ne revient jamais plus au village. Bien que ses parents ne veuillent pas que leur fille soit déracinée, ils n’acceptent pas toutes les pratiques de la culture traditionnelle.
La deuxième partie comprend plusieurs années de l’école et du travail en France où on voit dans la vie de Malimouna une assimilation à la culture occidentale. Elle s’installe dans un quartier avec beaucoup d’autres Africains où elle rencontre Fanta, une femme malienne qui vit en France avec son mari. Fanta et son mari essaient toujours de vivre selon toutes les traditions africaines et rejettent toute forme de pratique française qui diffère de leurs pratiques traditionnelles. Quand Fanta vient dire à Malimouna que sa fille ne veut pas être excisée, Malimouna l’avertit des dangers de cette opération, mais Fanta n’écoute pas ses avertissements. Ils font exciser leur fille contre sa volonté et la fille se débat pendant l’opération, provoquant une très mauvaise entaille, et meurt d’une hémorragie. Les deux parents sont emprisonnés, rendant plusieurs enfants orphelins. L’auteur utilise cet événement tragique comme exemple des conséquences du déséquilibre.
La troisième partie comprend son retour en Afrique, sa rencontre et son mariage avec Karim, sa découverte de l’infidélité de son mari, et sa participation dans l’AAFD (l’Association d’Aide à la Femme en Difficulté). Elle commence par faire du bénévole dans l’AAFD et elle finit par devenir Présidente de l’association. Elle organise une conférence sur le thème des dangers de l’excision afin de montrer aux Africains que, bien qu’il existe beaucoup de bonnes traditions africaines, il faut aussi reconnaître le besoin de changement qui vient avec des découvertes modernes. Pour la première fois, les femmes osent parler en public et « cette foule avait entendu dire des choses qui n’avaient jamais été ainsi exprimées au grand jour. La pudeur autodestructrice des femmes se libérait tout d’un coup. Elles n’avaient plus honte de leur corps et se sentaient libres d’en parler, de le défendre. » (p. 217-218). Après une longue recherche de paix et après avoir vu la tragédie dans sa propre vie aussi bien que dans la vie des autres, c’est grâce à sa participation à cette association que Malimouna parvient à trouver un équilibre entre le monde de la tradition africaine et le monde de l’occident.
Fatou Keïta ne fait pas que raconter une histoire dans son roman, Rebelle. Elle ose faire face aux problèmes graves de la société. Elle dévoile à travers des expériences diverses de Malimouna et d’autres personnages dans le roman quelles seront des conséquences si on ne trouve pas d’équilibre. Grâce à la diversité d’expériences que chaque personnage du livre a, que ce soit en Afrique ou en France, on voit chaque problème que Fatou Keïta expose de plusieurs perspectives. On ne peut pas lire ce livre sans prendre du temps après pour réfléchir à ce que l’on devrait faire personnellement pour changer sa mentalité et sa perspective du monde. Je recommande à tous de lire ce roman excellent.
Stephanie Noyce
http://aflit.arts.uwa.edu.au/reviewfr_keita10.html
http://aflit.arts.uwa.edu.au/KeitaFatou.html